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Les cérémonies des JO 2024 par

Thomas Jolly

Artistes

il y a 2 semaines

Thomas Jolly a ce talent fou pour faire sauter les carcans, abattre les murs entre les disciplines et fédérer.
Sans snobisme, mais avec un nombre incalculable de références et de réflexions, le metteur en scène et directeur artistique des cérémonies des JO 2024 a su rassembler plus de deux milliards de téléspectateurs à travers le monde — au-delà des 300 000 personnes qui ont suivi les festivités depuis les rives de la Seine.

 

Acteur, metteur en scène, directeur artistique, il conjugue divertissement et message politique, résonance intime et liesse populaire. Thomas Jolly revendique une ouverture totale à la culture et à toutes les cultures. Il prône un art total, capable d’embrasser aussi bien une représentation shakespearienne de vingt-quatre heures (Henry VI et richard III) qu’une comédie musicale comme Starmania.

 

Rencontre avec un universaliste.

THOMAS JOLLY

Quel a été le modus operandi pour les quatre cérémonies des Jeux ?

 

« Exactement la même méthodologie que celle que j’applique quand je mets en scène un spectacle de théâtre, un opéra ou une comédie musicale. Je pars des matériaux que j’ai à disposition et de ce qu’ils racontent en eux-mêmes.

 

En l’occurrence, j’ai eu de la chance : j’avais six kilomètres de fleuve, bordés par des monuments porteurs d’histoires — des grandes pages de l’histoire de France, mais aussi des récits plus intimes, culturels, picturaux, littéraires, et bien sûr architecturaux. »

« Par exemple, le Pont Neuf est apparu dans des films, il a été peint, photographié, ce n’est pas que le plus vieux pont de Paris, il est aussi un objet qui a déjà figuré dans l’inconscient collectif via beaucoup d’œuvres. »

Le pont-neuf – Auguste Renoir – 1872

Les Amants du Pont-Neuf – Leos Carax – 1991

« Avec les auteurs et les autrices, on est allés puiser ce que les sites eux-mêmes nous racontaient, quelle matière on pouvait extraire de tout ça. On est partis de là pour couvrir un mur géant, avec tout un tas d’images de rêve. Cela a ensuite permis d’écrire ces douze tableaux, qui me semblaient être douze entrées possibles dans un portrait de la France. »

Quels messages souhaitiez-vous passer ? 

 

« Chaque cérémonie d’ouverture, si on regarde les précédentes, offre un portrait de ce qu’est le pays hôte.

 

Ce qui est intéressant avec notre pays, c’est qu’il est traversé depuis des siècles par de multiples influences. Il a été influencé par le monde entier, et il a aussi influencé le monde entier : énormément d’artistes venus des quatre coins du monde sont venus s’en inspirer, y travailler. Et pas seulement des artistes : aussi des scientifiques, des personnalités politiques… C’est un pays qui est toujours un peu en résonance avec le reste du monde. C’était la base, c’est ce que nous raconte notre histoire de France. »

© Peter Cziborra/Pool via AP

« À partir de là, on s’est dit : on ne va pas offrir une photo figée. On va essayer de montrer ce qu’est la France aujourd’hui, c’est-à-dire un pays fait de patrimoine et de création, mais aussi un pays riche d’une grande diversité — donc de toutes ces influences dont je parlais.

L’autre volonté, de notre part, c’était que personne ne se sente mis de côté. Car les Jeux Olympiques, à la base, c’est une fête fédératrice. On voulait trouver comment, dans cette grande mosaïque, il pouvait y avoir de la beauté, de la surprise, de l’émotion. »

« Donc, plutôt que de juxtaposer des registres artistiques différents, des genres différents, on a décidé de voir comment on pouvait les faire se rencontrer. Et de montrer, un peu à l’inverse du discours prédominant — qui dit que tout est divisé, compartimenté — qu’il existe une porosité, et que cette porosité peut créer de la surprise, de l’émotion, de la beauté, justement grâce à cette diversité. »

© @OdieuxBoby

© @OdieuxBoby

« L’unité, c’est le résultat de cette cérémonie une fois qu’elle a été vue. Ça veut dire qu’en considérant et en représentant toutes ces diversités, et en les faisant se rencontrer, on donnait un exemple possible d’unité. Et c’est exactement ce qu’il s’est passé avec la réception des Jeux Olympiques et Paralympiques. »

De Shakespeare à Starmania, en passant par Aya Nakamura, vous ne vous interdisez aucun style ?

« J’ai toujours défendu une idée de déhiérarchisation des objets culturels. D’abord parce que je trouve étrange d’estimer qu’un art vaudrait plus qu’un autre, ou qu’un registre artistique aurait plus de valeur qu’un autre. Il y a certes eu Malraux, qui disait que certaines œuvres étaient plus éclairantes pour l’humanité mais depuis 2005, il existe les droits culturels, qui affirment que chaque personne a une identité culturelle, et que la culture passe par beaucoup, beaucoup de choses et donc qu’on ne peut pas décider que tel ou tel objet culturel est plus important qu’un autre.

 

La culture, c’est aussi la cuisine, ce sont aussi les chansons qu’on chante à ses enfants, les vêtements, les coiffures, les accessoires… J’ai toujours eu envie de célébrer cette richesse-là, et de dire, à travers cette cérémonie, que la France n’en était pas seulement faite, mais pouvait aussi la célébrer. »

Thomas Jolly pour la couverture de Télérama © Jean-Francois Robert

« Mon champ d’inspiration va de Benjamin Britten, compositeur de musique britannique, à Britney. »

Un tableau qui vous tient très à cœur ?

« Je dois choisir entre tous mes enfants ? Peut-être que celui qui est le plus exemplaire, le plus percutant, c’est Aya Nakamura avec la Garde républicaine. Il a été très médiatisé, mais il met à jour des choses que l’on retrouvait tout au long de la cérémonie — à savoir des éléments qui, a priori, ne vont pas ensemble, mais qui, lorsqu’ils se rencontrent, créent de la beauté, de l’émotion, de la surprise.  »

Les symboles derrière ce tableau ?

« D’abord, le fait qu’Aya Nakamura sorte de l’Académie française. On sait qu’elle a été un sujet de débat, notamment à cause des mots qu’elle emploie dans ses chansons, de sa poésie. Mais ce qui est étonnant, c’est que des auteurs français ont déjà, dans plusieurs registres, travaillé à cette poétisation du langage, à cet enrichissement. Je pense notamment à Valère Novarina, un auteur de théâtre qui invente des langues. Je pense aussi à Pierre Guyotat. Et en musique, on sait qu’il y a beaucoup d’artistes qui ont travaillé à inventer des mots — de Renaud à Mylène Farmer, en passant par Georges Brassens, Gainsbourg bien sûr. »

L’Acte inconnu, Valère Novarina, 2007 © Christophe Raynaud de Lage

« Faire sortir Aya Nakamura de l’Académie française, ça disait que le français est une langue vivante, qui s’enrichit sans cesse, qui ne doit pas se figer. En plus, Aya incarne une francophonie très large, car c’est aussi notre artiste la plus écoutée à l’international.

On voulait la faire se rencontrer avec quelque chose qui pourrait être en face, en contraste. Et on s’est dit que la Garde républicaine, dans son académisme, dans sa rigidité par rapport à la musique d’Aya, pouvait créer quelque chose de beau. D’ailleurs, c’est ce qu’il s’est passé. Ce n’était pas seulement une rencontre : d’un coup, la Garde a entouré Aya — comme si elle la protégeait, la gardait.

Tout ça, sur le Pont des Arts, dans un tableau qui s’appelait Égalité. »

« Et on avait ajouté, en réponse aux attaques racistes, misogynes et classistes dont elle avait pu être la cible au printemps, ce petit passage d’Aznavour. Pour dire, d’abord, qu’Aznavour est d’origine arménienne — quelqu’un venu d’ailleurs, qui a chanté et célébré la France et le français, tout en le mêlant à une autre langue. Dans cette chanson, en l’occurrence Formi Formidable, il mêle le français à l’anglais. C’était une forme de rencontre, d’écho entre les genres, les registres, les histoires, les pays. Tout ça, c’est une grande, grande francophonie joyeuse, festive.

Et puis on pourrait aussi dire qu’elle — Aya — est habillée en or, avec des plumes, comme les plumes des auteurs. Il y aurait encore d’autres choses à dire… Mais c’est l’un des tableaux les plus exemplaires. »

D’où vient cet amour pour le théâtre, pour l’opéra, pour le spectacle vivant dans son ensemble ?

« Il vient de loin. Il vient du fait que je crois que c’est un outil d’émancipation intime, personnel. Je crois que le théâtre — qu’on le pratique ou qu’on y assiste — est un outil qui nous pousse à rester vivants, à rester en circulation avec sa pensée, qui vient nous interroger.

En plus d’être un outil d’émancipation intime, c’est aussi un outil d’émancipation collective. On l’a vu à la cérémonie : ce n’est pas juste une fête vue par un très grand nombre, c’est autre chose. Ça crée de l’unité, ça fédère. Quand j’ai compris ça, j’étais jeune, et je me suis dit : je ferai ma vie ici.

D’autre part, le théâtre est un vieil art, qui vient simplement nous rappeler que nous sommes très sensibles — parfois même vulnérables — à la fiction. Que la fiction nous relie les uns aux autres. Et que si ça fait 2 500 ans qu’il existe, alors que tout un tas de révolutions techniques, scientifiques, artistiques, philosophiques, politiques, bref, lui sont passées dessus, et qu’il est toujours là, c’est qu’a priori il répond à l’un de nos besoins fondamentaux : un, se faire raconter des histoires ; deux, les recevoir de manière collective. »

Votre premier choc esthétique ?

 

« Fantasia, de Walt Disney. Je devais avoir quatre ans. Ma mère m’a raconté que j’avais fini sous le siège, terrorisé… mais que je ne voulais pas partir.

Je pense que l’alliage de la très grande musique avec les grandes images — quand on a quatre ans, un écran de cinéma, c’est un délire — a fondé quelque chose chez moi, quelque chose de mon geste artistique. »

 

Cérémonie des jeux olympiques 2024 – © Richard Callis

Fantasia, 1940, Walt Disney

Et le dernier ?

« Le travail de Raphaël Barontini, qui est exposé en ce moment au Palais de Tokyo, c’est la même chose : à la fois, c’est de la beauté — celle des œuvres qui sont présentées, de l’exécution — mais aussi une forçe politique, une puissance véhiculée par le travail de Raphaël.

Quand on a les deux, quand à la fois l’œil est flatté et le cerveau stimulé, je trouve mon endroit. »

Exposition Raphaël Barontini au Palais de Tokyo

Une pièce que vous pourrez voir et revoir tous les mois ?

 

« Je pense que, franchement, n’importe quel Shakespeare… Il reste pour moi l’écrivain le plus mystérieux, tellement il continue à parler de nous. C’est magique, pour moi.

C’est la personne qui a mis les mots les plus justes sur les choses qu’on essaie de s’expliquer à nous-mêmes — à la fois de façon intime, et sur des choses plus larges, sociales, politiques. Donc je pense que je ne m’en lasserai jamais. »

Les personnalités avec qui vous aimeriez dîner ? 


« Shakespeare, ça c’est sûr. Il y aurait aussi la chanteuse Barbara, le peintre Mark Rothko — dont j’ai besoin de comprendre la magie, la puissance, la couleur. Et puis il y aurait Hervé Guibert, l’auteur français. »

Le Roi boit, Jacob Jordaens, illustre une scène de festin tirée de La Nuit des Rois de William Shakespeare

Comment on enchaîne après des Jeux-Olympiques et Paralympiques ? 

 

« Déjà, on s’en remet. On essaie de s’en remettre. Et puis on essaie aussi de comprendre, au-delà des Jeux, ce qui s’est passé.

Je continue à être émerveillé, ému, d’avoir — quotidiennement — plusieurs interpellations de joie, de remerciements, dans la rue, sur les réseaux… Quelque chose continue à vibrer, à exister.

Je suis artiste, j’ai créé ces cérémonies. Mais j’aimerais qu’aujourd’hui, des politologues, des sociologues, des neuroscientifiques s’en emparent, pour décrypter un peu ce qui s’est passé. Parce que je reçois encore beaucoup de témoignages, et que ça me maintient dedans, avec une sorte de responsabilité. »

L’ambition de parler à tous perdure ?

 

« Ça a toujours été la même chose, même quand je faisais des créations moins grandes :
Qu’est-ce que je fais comme projet qui, moi, m’apprend quelque chose artistiquement, qui me challenge ?
Et qu’est-ce que je fais comme projet qui sert au plus grand nombre ?

J’arrive d’un endroit où s’adresser au plus grand nombre fait partie de notre feuille de route, dans le théâtre public. On reçoit des subventions, on travaille dans une politique culturelle. Donc l’idée, c’est de s’adresser au public le plus large possible. Et là, je crois que je me suis adressé à un très, très large public. On ne retrouvera pas ça. Les Jeux, c’est assez unique. Mais même dans un théâtre de cinquante places, on doit chercher à toucher le cœur et la tête des gens. »

 

© Ludvig Thunman/Bildbryån/Shutterstock

© Bibliothèque nationale de France (BnF)

Vous renouez avec votre premier métier : acteur ?

« Être acteur, c’est quand même mon premier métier. Les gens l’ont un peu oublié avec Starmania et les Jeux Olympiques. Mais au départ, je suis acteur depuis vingt ans. C’est assez agréable pour moi de repartir dans le rêve des autres, de grandir dans les désirs d’autres personnes. Sachant que moi, j’ai la grande chance d’avoir des univers que je peux développer en tant que créateur, par ailleurs. »

Et pour la suite ?

« Je réfléchis à un nouvel objet, qui serait à la fois très intéressant et enrichissant pour moi, et à la fois émancipateur pour le plus grand nombre.

J’aime bien la notion de spectacle. Moi, j’arrive du théâtre — qui est quand même le roi du spectacle — mais il y aura effectivement d’autres arts, qui sont tous les bienvenus sur mes plateaux. »

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